Brian Bexton

Tiré du Journal Le Spécialiste de la Fédération des Médecins Spécialistes du Québec:

Grands noms de la médecine au Québec

01 septembre 2013

Un vrai gentleman

Pendant qu’Albert Schweitzer poursuivait son œuvre en Afrique, un jeune homme, fils de deux psychologues, rêvait de liberté, d’immortalité et de suivre les pas de son idole. Ce jeune avait déjà, dès l’âge de 4 ans, tracé son parcours tant personnel que professionnel. Il voulait aller travailler en Afrique, être soldat, musicien et, enfin, médecin. Ses parents ont cependant mis rapidement un frein aux espérances militaires. Qu’à cela ne tienne, il lui restait d’autres choix.

Ainsi, dès 5 ans, le jeune Brian (Bexton) commence le piano et passe avec succès tous les examens du Conservatoire royal de musique. Il poursuivra sa formation musicale jusqu’à son entrée à l’université. Pendant sa jeunesse, il accompagne souvent ses parents à l’université où tous deux sont chercheurs et enseignants. Les neurosciences le fascinent et l’attirent. Il aime particulièrement la section des cubicules où sont placés les divers sujets d’expérimentation. Son père a d’ailleurs été le premier à faire des recherches sur les effets de la privation sensorielle. Ses travaux, critiqués par certains, ont grandement fait avancer les connaissances au sujet de patients admis aux soins intensifs ou aux soins de grands brûlés, ceux-ci étant généralement intubés ou inconscients. La recherche effectuée par son père a démontré que l’absence de stimulations sensorielles menait à d’éventuelles problématiques telles que des psychoses. Depuis, diverses formes de stimulations sont offertes dans ces unités.

L’omniprésence de la science a été déterminante dans la famille Bexton. Ses deux frères ont aussi choisi une discipline scientifique universitaire, aujourd’hui l’un étant médecin et l’autre, architecte. Quand sa famille décide d’aller vivre aux États-Unis, il refuse. Il a 17 ans, se sait fonceur et, quoi qu’il advienne, ce sera pour le mieux  ! Il s’inscrit à McGill en biochimie.

À l’été 1967, il participe activement à un programme de recherche sur la canne à sucre à St. Kitt’s. Son employeur veut améliorer son rhum ! Que de tests pratiques à faire… et à refaire ! Pendant son séjour, la guerre éclate entre St. Kitt’s et Anguila. Il revient donc à Montréal, terminer son bac. Puis, Brian devient coopérant CUSO pour le Nigéria avec, en poche, un mandat de deux ans. Il arrive pourtant en pleine guerre du Biafra ; une situation qu’il ne peut oublier (couvre-feu, bruits et désagréments de guerre, têtes coupées posées en guise de trophée sur les camions et les chars d’assaut, etc.). Il découvre pourtant au Nigéria l’antipode de la guerre  : l’amitié véritable. Pendant son séjour, son meilleur ami, Olu, qui est un chef de tribu à Ifè, fait de lui un enfant du pays, c’est-à-dire qu’il est officiellement adopté par les Yoruba… avec tout le cérémonial, les rituels et les festivités qui s’ensuivent  ! On le baptise du nom d’Omowalé, qui veut dire child comes home. Brian Bexton devient africain d’adoption. Il vit dès lors entièrement à la manière des Nigériens, partageant leur mode de vie et leurs coutumes, parlant leur langue et vivant au gré des jours. Il profite de son séjour pour faire le tour de l’Afrique, en majeure partie à motocyclette. «  Deux années de pur bonheur, de pure liberté  », dira-t-il.

De retour au Québec, Brian décide de passer ses examens d’admission pour entrer en médecine. Il réussit son examen d’entrée avec d’excellents résultats. Il s’inscrit à McGill en neurosciences. Montréal connaît alors les événements d’octobre (1970). Son petit côté subversif, libre penseur et libertaire prend le dessus. Il organise des séminaires et des groupes de discussion pour participer activement à la grande mouvance de l’époque, celle qui est connue comme la Révolution tranquille.

Pendant sa jeunesse, il accompagne souvent ses parents à l’université où tous deux sont chercheurs et enseignants. Les neurosciences le fascinent et l’attirent. Il aime particulièrement la section des cubicules où sont placés les divers sujets d’expérimentation.

Les neurosciences n’étant pas aussi palpitantes qu’il aurait souhaité, lui vient l’idée de poursuivre ses études de médecine à l’Université de Montréal. Il aurait pu choisir une université américaine vu la qualité de son dossier académique. Cependant, ce qui se passe au Québec est trop important pour qu’il n’y soit pas comme participant ; regarder passer la parade ne lui convient pas du tout. Malgré son implication sociale, il a un handicap majeur : il ne parle pas français. L’Université le refuse en invoquant une connaissance insuffisante de la langue. Obstiné, il refuse leur refus  ! Il écrit à tous les directeurs et responsables des admissions et s’inscrit à des cours intensifs de conversation. Devant son insistance, l’Université le convoque à nouveau, et ce, un mois après son refus initial. Lors de l’entrevue, malheur  : il n’arrive plus à distinguer ou à utiliser correctement les verbes avoir et être. L’examinateur lui dit qu’il ne peut le recommander pour la qualité de son français, mais qu’il le fera pour son courage et sa détermination.

Il termine sa médecine et s’oriente vers la psychiatrie. Pendant sa spécialisation, il reprend une des expériences de son père à sa façon : plutôt que de traiter de privation, il s’intéresse à la (sur)stimulation sensorielle. Sa démarche est, selon lui, à la fois scientifique et philosophique  : il veut comprendre le sens de l’univers et les interactions avec notre entourage. Une expérience qu’il dira sortie tout droit du courant des années 1970. Aujourd’hui, ces années de travail et d’expérimentation lui font réaliser combien cela lui a permis de comprendre certains phénomènes, d’expliquer des concepts jusqu’alors incompris par nombre de cliniciens.

Dans le cadre de ses fonctions hospitalières, Dr Bexton est appelé à intervenir auprès de personnes dépressives ou bipolaires en situation de crise. Il vient à découvrir la richesse et les possibilités qui s’offrent à eux.

Une carrière qui fait 180º

Jeune psychiatre, Dr Bexton s’intéresse surtout à la psychose et à la schizophrénie et il organise des groupes de poésie, d’art et de théâtre pour les gens qui en sont atteints. Bien que l’univers de ces gens soit phénoménal et que les sujets de recherche abondent, Dr Bexton réalise qu’ils n’ont aucune chance de reprendre une vie normale. Dans le cadre de ses fonctions hospitalières, Dr Bexton est appelé à intervenir auprès de personnes dépressives ou bipolaires en situation de crise. Il vient à découvrir la richesse et les possibilités qui s’offrent à eux. Et c’est le coup de foudre. Lui, qui veut voir et participer à l’avancement scientifique, il découvre l’univers idoine à ses aspirations professionnelles. Dr Bexton n’en restera pas là  : il se joint, dès 1992, à Revivre, un jeune organisme sans but lucratif qui vient en aide aux personnes souffrant de troubles anxieux, aux dépressifs ou aux bipolaires ainsi qu’à leurs proches. Il agit bénévolement en tant que conseiller scientifique et participe à des tournées de conférences, de cours, d’ateliers et plus, toujours pour expliquer ces troubles de la personnalité. Ses conférences grand public sont souvent accompagnées d’un spectacle de l’humoriste Pierre Légaré, rien de moins  !

Dr Bexton n’hésite pas à présenter ses patients devant des salles bondées ou encore devant les médias, mais il se bute à l’incompréhension des gens quant à la maladie  : la dépression, ce n’est pas une maladie, c’est une faiblesse et les psychiatres ne sont pas de vrais médecins, seulement des demi-médecins  ! Devant tant de méconnaissance, il décide de combattre les tabous, un à la fois, en répondant à toutes les questions, en défaisant tous les arguments.

Ce faisant, il réalise que sa sphère d’activité foisonne de tabous internes. Dr Bexton monte aux barricades… internes  ! Il veut provoquer la discussion qui mènera au changement de la vision de la psychiatrie chez les psychiatres, ceux qui se sentent investis d’une mission, alors que l’on attend d’eux qu’ils participent aux soins du patient. Et l’Association des psychiatres n’aidait pas à régler la situation, préférant une tarification générale globale à une tarification à l’acte. En tant que délégué, il s’intéresse au fonctionnement de l’Association et aux décisions qui y sont prises. Dr Bexton se présente aux élections et est élu au conseil.
Il est un acteur de la refonte organisationnelle de l’Association dont il deviendra président en 1998, passionné par les dossiers de négociation et de développement de la profession.

Au moment d’écrire ces lignes, il vient de laisser son fauteuil, et ce, après 15 ans à la présidence. Ce départ, il l’appelle affectueusement sa pré-préretraite, ce qui lui donnera un horaire souple d’une quarantaine d’heures par semaine, lui qui en faisait 60 à 65 pendant sa présidence. Il a tellement de projets qu’il devra certainement couper ailleurs pour tout faire  ! Mais, il ne délaissera jamais sa séance quotidienne de méditation au lever du soleil, assis bien confortablement, lorsque la température le permet, sur sa terrasse qui surplombe le centre-ville de la métropole. Cette séance quotidienne est une véritable thérapie, un voyage spirituel, qui lui permet de commencer calmement sa journée. Chaque séance est pour lui un véritable satori, un chautauqua, qui lui permet de trouver des réponses à ses questions, d’apprécier la beauté qui l’entoure ou le moment qui passe. «  Ces moments empreints d’une richesse particulière ne sont pas connus de beaucoup de gens qui auraient pourtant avantage à connaître…  », dit-il.